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Image  Mickael d’Allende, avocat associé, cabinet Altana

Accords de groupe : de l’ombre à la lumière

Social - IRP et relations collectives
28/11/2016
La loi du 8 août 2016 a remanié en profondeur le régime applicable aux accords de groupe. Désormais beaucoup plus attractifs, ils pourraient voir leur rôle se renforcer considérablement. Au point de rebattre les cartes de la négociation collective ?
 
Un potentiel jusqu’à présent sous-exploité

Les 50 000 groupes de sociétés recensés en France occupent environ 10 millions de salariés. Ils constituent une réalité économique et organisationnelle que le droit du travail ne peut ignorer, même si l’entreprise - seule entité pouvant se voir reconnaître la qualité d’employeur - constitue l’unité de base au sein de laquelle les règles sont appliquées.
 
Pendant longtemps, toutefois, conduire le dialogue social au niveau des groupes de sociétés fût très malaisé : ces derniers n’étant pas dotés de la personnalité morale, il ne leur est pas - à proprement parler - possible de signer d’accords collectifs. Or, la négociation au niveau du groupe constitue un outil tout à fait pertinent lorsque l’harmonisation des statuts sociaux de salariés appartenant à des entreprises différentes mais relevant d’un même ensemble est envisagée ou lorsqu’il apparaît souhaitable que les négociations collectives se tiennent à un niveau où la stratégie est souvent définie.
 
En l’absence de cadre normatif, ce sont d’abord les partenaires sociaux qui ont imaginé les moyens permettant de conclure des accords à ce niveau. La Cour de cassation a validé cette pratique (Cass. soc., 30 avr. 2003, n° 01-10.027), avant que la loi du 4 mai 2004 leur ne leur donne une assise légale.
 
Mais le texte manquait d’ambition, de sorte que les accords de groupe n’ont, jusqu’à présent, pas connu un succès à la hauteur de l’importance des groupes dans la vie économique et sociale : ils ne représentent actuellement qu’environ 2 % de l’ensemble des normes conventionnelles conclues en France.
La loi « travail » du 8 août 2016 a rénové les règles qui leur sont applicables, ce qui devrait leur permettre de monter en puissance. En voici les principales raisons.
 
Les modalités de négociation retouchées
 
Les partenaires à la négociation restent inchangés, l’accord de groupe devant être conclu entre :
 
  • d’une part, l’employeur de l’entreprise dominante ou un ou plusieurs représentants, mandatés à cet effet, des employeurs des entreprises concernées par le champ de l’accord ;
  • d’autre part, les organisations syndicales de salariés représentatives dans le groupe ou dans l’ensemble des entreprises concernées par le champ de l’accord.
 
En revanche, il est désormais prévu que les organisations syndicales représentatives dans chacune des entreprises ou chacun des établissements compris dans le périmètre de l’accord doivent être informées préalablement de l’ouverture d’une négociation dans ce périmètre.
 
Par ailleurs, la validité d’un accord conclu au sein de tout ou partie d’un groupe est appréciée de la même manière que s’agissant des accords d’entreprise, si ce n’est que les taux de 30 % et 50 % (pour rappel, la loi « travail » assure un passage progressif du premier seuil au second, lequel vise à exiger que les accords collectifs soient, à terme, tous « majoritaires ») sont analysés à l’échelle de l’ensemble des entreprises ou établissements compris dans le périmètre du texte.
 
La liberté des négociateurs nettement renforcée
 
Comme auparavant, le périmètre de l’accord peut être composé de tout ou partie des entreprises du groupe. Sa détermination est laissée au libre choix des partenaires sociaux. L’accord peut ainsi ne couvrir que les entreprises d’un secteur d’activité, d’une zone géographique, etc. De la même manière, il peut ne concerner qu’une catégorie professionnelle déterminée.
 
Surtout, en application du nouveau dispositif issu de la loi « travail » :
 
  • l’ensemble des négociations prévues par le Code du travail au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe, dans les mêmes conditions que les accords d’entreprise (sous réserve de quelques adaptations liées au particularisme des accords de groupe) : dialogue social, droit syndical, durée du travail, RSE, orientations stratégiques, etc.
  • les entreprises sont dispensées d’engager une négociation obligatoire lorsqu’un accord portant sur un même thème a été conclu au niveau du groupe (un accord de méthode de groupe peut même prévoir que l’engagement à ce niveau de l'une des négociations obligatoires dispense les entreprises appartenant à ce groupe d'engager elles-mêmes cette négociation). La négociation collective d’entreprise peut donc être éclipsée par une négociation couvrant les mêmes thèmes au niveau du groupe (ce qui n’était auparavant possible qu’en matière de GPEC).
 
Autre défaut du dispositif antérieur, la convention ou l’accord de groupe ne pouvait comporter de stipulations dérogatoires à celles applicables en vertu des conventions de branche dont relèvent les entreprises appartenant du groupe, sauf disposition expresse (rares, en pratique…) desdits conventions de branche. Désormais, l’aval de la branche n’est plus nécessaire pour que l’accord de groupe bénéficie de la même faculté dérogatoire que l’accord d’entreprise.

Ainsi, pour obtenir un dispositif identique au sein d’un même groupe, il est maintenant possible de conclure un accord de groupe là où, jusqu’alors, il fallait en pratique en passer par autant d’accords d’entreprise que d’entités le composant. La nouvelle législation rapproche ainsi le régime juridique de la structure regroupant plusieurs établissements au sein d’une même société de celui applicable à celle regroupant plusieurs sociétés au sein d’un même groupe.
 
Enfin, le nouvel article L. 2253-5 du Code du travail prévoit que, lorsqu'un accord de groupe le prévoit expressément, ses stipulations se substituent à celles ayant le même objet des accords conclus -  antérieurement ou postérieurement - dans les entreprises ou les établissements compris dans son périmètre. En pratique, l’accord de groupe peut primer sur les accords de niveau inférieur, même s’il est moins favorable que ceux-ci.
 
Les modifications apportées par la loi « travail » consacrent enfin le groupe comme un niveau autonome de négociation. La réforme devrait permettre aux accords de groupe de passer de l’ombre à la lumière… à condition que les partenaires sociaux prennent conscience du potentiel que leur offre cet outil de simplification et de renforcement du dialogue social au sein des structures complexes.

Par Mickael d’Allende, avocat associé au cabinet Altana

 

 
Source : Actualités du droit