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Image  Olivier Anfray, avocat, cabinet Fromont Briens

Généralisation des couvertures santé : retour vers le futur

Social - Protection sociale
30/04/2018
En matière de protection sociale complémentaire, les Urssaf doivent revenir à une interprétation en conformité avec celle de la Cour de cassation qui admet des différences de traitement entre des catégories distinctes de salariés, estime Olivier Anfray, avocat au cabinet Fromont Briens.
Nom de Zeus !… En 2018, les inspecteurs Urssaf peuvent encore contrôler 2015. Certains envisagent ou redressent le financement patronal des régimes frais de santé des cadres au motif que les non cadres ne disposaient pas sur cette période de couverture.
Tout spécialiste de protection sociale complémentaire sait qu’il faut distinguer les obligations relevant du droit du travail, de celles issues de la relation assurantielle. Il convient néanmoins de tenir compte des règles d’exonération sociale, pas toujours cohérentes avec les premières, mais extrêmement prégnantes, au point regrettable d’en devenir l’élément structurant dans la mise en place des garanties.
La généralisation des couvertures santé a été décidée par les partenaires sociaux dans le cadre de l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013[1], repris et transposé par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin suivant[2].
Outre la définition d’un panier de soins minimum, d’un niveau de prise en charge patronale, elle obligeait les branches[3] puis les entreprises[4] à négocier pour une mise en œuvre effective au plus tard au 1er janvier 2016. A moins d’être assujettie à une obligation conventionnelle, la généralisation de la santé n’était effective pour les entreprises qu’à cette date. Auparavant, elles n’avaient qu’une simple faculté à l’égard de leurs salariés ou d’une catégorie d’entre eux.

Principe d’égalité de traitement

Les règles d’exonération du financement patronal de ces dispositifs avaient pourtant tenté de devancer cette obligation. Autrefois seulement exigés par la loi et commentés par l’administration, les caractères collectif et obligatoire que doivent revêtir les régimes de protection sociale complémentaire ont finalement été définis par le décret en Conseil d’Etat n° 2012-25 du 9 janvier 2012[5].
Outre la définition de cinq critères, limitativement énumérés pour constituer des « collèges », l’article R. 242-1-1 du CSS précise que si les garanties peuvent ne couvrir qu’une ou plusieurs catégories, c’est sous réserve qu’elles permettent « de couvrir tous les salariés que leurs activités professionnelles placent dans une situation identique au regard des garanties concernées ».
Au détour d’une formule dont seule l’administration a le secret, il s’agit en réalité d’exiger, au-delà du choix d’un critère, le respect d’un principe d’égalité de traitement dans la mise en place des dispositifs, et ce en écho aux exigences qu’avaient alors la Cour de cassation en la matière[6].  
Pour tenter de sécuriser les entreprises, en les incitant à recourir à certains critères, l’administration  a posé des présomptions du respect de cette condition, déclinée en fonction des garanties en cause.
S’agissant des remboursements de frais médicaux, l’article R. 242-1-2, 4°, précise que :
« Sont considérées comme couvrant l'ensemble des salariés placés dans une situation identique au regard des garanties mises en place […].
4° Les prestations destinées à couvrir des frais de santé, qui bénéficient à des catégories établies à partir des critères mentionnés aux 1° [affiliés ou non à l’AGIRC] et 2° [en fonction des tranches de rémunération] du même article [R. 242-1-1], sous réserve que l'ensemble des salariés de l'entreprise soient couverts
»

Règles ubuesques

Ainsi, un texte réglementaire de 2012, qui n’a vocation qu’à définir des conditions d’exonération, a en quelque sorte conduit à généraliser les couvertures santé.
Peu importe que les cadres et non cadres bénéficient de garanties et/ou de financement différents pourvu que tous aient une couverture. Dans le cas contraire, il reviendrait à l’entreprise de justifier pour quelles raisons une des catégories bénéficient du dispositif et non l’autre ; si elle échoue le financement patronal sera alors réintégré dans l’assiette des cotisations.

Pour autant, cette règle n’a pas été étendue aux garanties de prévoyance lourde (sauf lorsque l’entreprise recourt au critère n°3[7]). Sans doute parce que l’article 7 de la de la convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947, obligation de droit du travail, ne vise que les cadres.
Ces règles, ubuesques, sont définitivement entrées en vigueur au 1er juillet 2014[8], date à partir de laquelle les entreprises ont donc été, au travers des règles d’exonération, fortement incitées à généraliser les couvertures santé alors qu’elles n’en avaient nullement l’obligation côté travailliste. Certaines entreprises ont pu faire le choix, légitime, d’attendre l’entrée en vigueur de la loi ou le résultat des négociations de branche pour y procéder.
Aujourd’hui pourtant, les agents de contrôle entendent appliquer la règle à la lettre et redressent le régime cadres lorsqu’ils étaient les seuls à en bénéficier et que l’entreprise ne parvient pas à démontrer qu’elle justifie de raisons objectives pour traiter différemment cadres et non cadres.
Les entreprises ne doivent pas pour autant se résigner. Quand bien même le coût du redressement serait inférieur à ce qu’aurait représenté la généralisation anticipée des couvertures santé dès le 1er juillet 2014, le redressement doit être contesté. L’entreprise est en mesure de démontrer que cadres et non cadres ne sont pas dans la même situation d’autant que la jurisprudence de la Cour de cassation conforte leur position.

Différences de traitement entre des catégories distinctes de salariés

En effet, compte tenu des particularités des régimes de prévoyance (reposant sur une évaluation des risques garantis en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, prenant en compte un objectif de solidarité et requérant, dans leur mise en œuvre, la garantie d'un organisme extérieur à l'entreprise), l'égalité de traitement ne trouve à s'appliquer qu'entre les salariés relevant d'une même catégorie professionnelle (Cass. soc. 13 mars 2013 n° 11-20.490,  n° 10-28.022, n° 11-23.761).
Ces arrêts admettent sans réserve des différences de traitement entre des catégories distinctes de salariés s'agissant de leur protection sociale complémentaire et autorisent également l'employeur (ou l'accord collectif) à instituer un régime au profit d'une seule catégorie de salariés. Cette solution a été réaffirmée avec force par un arrêt du 9 juillet 2014, au sujet d’une entreprise qui ne couvrait, en santé, que ses cadres (Cass. soc. 9 juillet 2014 n° 13-12.121, Bull. civ. V n° 84).
D’une certaine manière, la Haute juridiction a ainsi considéré qu’il ne lui revenait pas, d’obliger les entreprises à étendre le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire à tous les salariés.
Sauf à vouloir aujourd’hui le décliner différemment selon que l’entreprise raisonne en droit du travail ou en droit de la sécurité sociale, les Urssaf doivent revenir à une interprétation en conformité avec celle de la Cour de cassation.
Prononcer ou maintenir un redressement sur le fondement de cette règle conduit à retenir, à rebours, une généralisation des couvertures santé depuis le 1er juillet 2014, voire même avant que la négociation collective ne l’ait décidé.

Par Olivier Anfray, avocat, Fromont Briens
 
 
 
[1] Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salaries, article 1  
[2] Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi
[3] Loi préc. Art. 1, I, A : avant le 1er juin 2013
[4] Loi préc. Art. 1, I, B : à compter du 1er juillet 2014
[5] Un marathon dans un champ de mines ? , G. BRIENS, SSL n° 1530 du 19 mars 2012, page(s) 4-11
[6] Cass. soc. 20 fév. 2008, n° 05-45.601
[7] art. R. 242-1-1, 3° : « La place dans les classifications professionnelles définies par les conventions de branche ou les accords professionnels ou interprofessionnels … » ;
[8] Circulaire n° DSS/SD5B/2013/344 du 25 sept. 2013 relative aux modalités d’assujettissement aux cotisations et contributions de sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire. 
Source : Actualités du droit